L'objectif de cet outil est d'aider à la prise de décision à partir de critères qualitatifs, tout en confectionnant un document ré exploitable.
C'est à la recherche opérationnelle que l'on doit, dans les
années soixante, les premières formalisations des prises de
décision. Depuis, de nombreux chercheurs ont mis au point de
nouvelles méthodes d'interprétation (Savage, Hurwicz, ...).
C'est depuis peu que l'usage de cet outil s'est développé,
notamment dans les groupes de travail tels que groupe
productique, cercle de qualité, et groupe d'analyse de la
valeur.
Avec l'arrivée de nouveaux moyens d'archivage informatique
(vidéodisque par exemple), les entreprises vont pouvoir stocker
leur savoir-faire. Mais la saisie n'est possible que s'il
subsiste une trace écrite. La formalisation des prises de
décision par écrit constitue donc une étape importante de
l'informatisation des connaissances.
Cet outil est plus particulièrement adapté pour départager
plusieurs solutions connues en fonction, soit de critères
qualitatifs, soit de la probabilité de certains événements.
Ainsi peut-il permettre de choisir un montage d'usinage, une
implantation de machines-outils, une stratégie de stockage ou de
gestion en fonction de critères technologiques, économiques,
stratégiques, ou statistiques.
Si le problème peut être mis en équation, on préférera
l'outil "SEUIL" (page 53) ou la méthode
"SIMPLEXE" (page 319).
"Décision" n'est pas un outil "miracle", mais plutôt une formalisation écrite, aidant à la prise de décision du gestionnaire, tout en formant une base de connaissances que l'on pourra consulter.
|
6.1 Exemple DECISION 1
Une petite société de sous-traitance en mécanique veut acheter
un centre d'usinage, afin de remplacer une vieille fraiseuse
numérisée.
Etape 1 : Recenser les solutions et les critères
Après un appel d'offre, trois propositions semblent convenir :
Le décideur établit alors la liste des critères mentionnés dans le cahier des charges en vue de l'appel d'offre:
Etape 2 : Préparer le tableau
Il suffit de tracer un tableau dont les lignes
représentent les solutions et les colonnes les critères. Les
cases ainsi créées seront remplies au fur et à mesure de la
démarche:
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
|||
S1 |
||||||||
S2 |
||||||||
S3 |
||||||||
Au tableau principal de trois lignes et cinq colonnes, il faut ajouter une ligne pour pouvoir inscrire les coefficients d'importance et deux colonnes pour les résultats. Ce tracé est simplifié par l'utilisation de la trame type présentée page 337.
Etape 3 : Pondérer les critères
Pour pondérer les critères, plutôt que de
donner directement un coefficient, il faut commencer par les
classer par ordre d'importance décroissante, en utilisant
l'outil MP si besoin (page 121).
Pour notre exemple, le décideur choisit :
1°) C5,
2°) C1,
3°) C2, C3, et C4
On peut maintenant attribuer les coefficients d'importance "k" et les reporter sur la dernière ligne du tableau :
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
|||
k |
2 |
1 |
1 |
1 |
3 |
L'échelle d'importance des coefficients est laissée à
l'appréciation du décideur (1, ½, ½, ½, 3 eût été
possible). Il est bien évident que ces valeurs sont très
subjectives. Mais le sont-elles moins dans l'esprit du décideur
? Certes non, et c'est ici un point clef de l'outil :
l'utilisateur, sachant que son document pourra être relu pour
vérification ou analyse, prend mieux conscience de la
subjectivité de sa décision.
Cette remise en question implique des conséquences très
variées qui ne doivent pas être négligées, si l'on impose
l'outil dans le but d'une informatisation.
Etape 4 : Valoriser les couples
Avant de valoriser les couples, il est préférable de
préparer un tableau contenant les données objectives que l'on
possède:
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
S1 |
1000KF |
4 ½ |
arrêtée |
0,5 |
bonne |
S2 |
700 KF |
4 |
arrêtée |
0,4 |
bonne |
S3 |
850 KF |
4 ½ |
en cycle |
0,4 |
très bonne |
A partir de ce tableau, on attribue une note (n) pour chaque couple solution / critère. Ici la notation choisie s'échelonne de 1 à 10, la note de 5 correspondant à une caractéristique acceptable :
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
|||
S1 |
6 |
8 |
4 |
8 |
6 |
|||
S2 |
10 |
6 |
4 |
6 |
6 |
|||
S3 |
8 |
8 |
10 |
6 |
8 |
|||
k |
2 |
1 |
1 |
1 |
3 |
Voici les principales consignes à suivre pour établir la notation :
Etape 5 : Calculer le tableau
Avec les notations:
Pour chaque solution, faire la somme pondérée des notes. Ti = S kj nij |
Cette formule nous permet de remplir la rubrique
"Total". Pour la deuxième colonne notée
"mini", il suffit de reporter la note minimum de la
ligne.
Faisons les calculs pour l'exemple :
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
Total |
Mini |
|
S1 |
6 |
8 |
4 |
8 |
6 |
50 |
4 |
|
S2 |
10 |
6 |
4 |
6 |
6 |
54 |
4 |
|
S3 |
8 |
8 |
10 |
6 |
8 |
64 |
6 |
|
k |
2 |
1 |
1 |
1 |
3 |
Décomposons pour S1 :
(2´ 6) + (1´ 8) + (1´ 4) +
(1´ 8) + (3´
6) = 50
Mini (6, 8, 4, 8, 6) = 4
Etape 6 : Interpréter les résultats
Pour interpréter les résultats de ce tableau, il
faut se fixer un ou des critères de décision, à ne pas
confondre avec ceux qui sont liés au problème.
Nous en utiliserons deux complémentaires :
le critère "du pessimiste" pour lequel c'est la solution qui offre la note la plus haute parmi les notes minimales qui est choisie (MAX-min ou maximum des minimums).
Nous utiliserons le critère d'avidité en vérifiant que la note minimale soit acceptable. |
Pour notre application, le décideur n'aura pas de
difficultés, puisque S3 donne le plus fort total (64) et la
meilleure note mini (6 coef. 1). C'est donc la solution S3 qui
représente le "bon" choix, compte tenu des critères
adoptés.
Il est bien évident que si le résultat final choque le
décideur, celui-ci aura tendance à revenir sur certaines notes
ou certains coefficients. Cela n'a aucune importance, ce qui
compte, c'est que le document final soit le reflet le plus
exact possible de la décision, afin d'être un bon document
d'archives. Il pourra ainsi être repris plus tard, pour de
multiples raisons :
Malgré tout, la modification des notes ou des coefficients
après avoir eu connaissance du résultat prouve une instabilité
dans la démarche du décideur. En effet, la décomposition du
problème augmente la fiabilité du résultat, comme un calcul
statistique permet de le mettre en évidence.
Nous conseillons au lecteur non rompu aux calculs statistiques de
se reporter au chapitre "Statistiques" page311 avant
d'aborder cette démonstration :
Le décideur étant de bonne foi, il attribue des notes à plus ou moins un point près, de façon statistiquement équiprobable, soit un écart type s n de 0,5. En appliquant le théorème de la limite centrale
VT = S Vn = S (ks n)² =s n² S k²
on obtient la variance sur le total (VT) :
VT = 0,5² ´ (2² + 1² + 1² + 1² + 3²) = 4 = s T²
En conséquence, le total suit une loi normale d'écart type : Ö 4 = 2.
Aussi notre résultat est-il précis à ±4 points avec un risque de 5%, ce qui est acceptable sur un total de plus de soixante points.
Si l'on veut comparer les totaux entre eux, il ne faut pas faire : pour S2 : 54+4=58 pour S3 : 64-4=60 car l'on a supposé le décideur honnête. Comme il a suivi la consigne d'homogénéité des notes, celles-ci ne sont pas indépendantes, mais doivent varier ensemble.
6.2 Exemple DECISION 2
Une PME vit essentiellement de sous-traitance de prototypes
automobiles. Elle est amenée chaque jour à concevoir, en
moyenne, un montage d'usinage qui est actuellement élaboré à
partir soit de bâtis mécano soudés, soit de corps
"moulés au polystyrène". Avant de s'engager dans le
montage modulaire, le responsable technique veut peser le pour et
le contre.
Etape 1 : Recenser les solutions et les
critères
Avec l'assistance du chef d'atelier, il établit
la liste des critères d'utilisation, c'est-à-dire les fonctions
particulières que doivent remplir les montages. Il obtient le
récapitulatif suivant :
Repère |
Désignation des solutions |
- | Repère |
Désignation des critères |
S1 |
Montage à
partir d'un bâti mécano soudé Montage à partir d'un corps moulé au polystyrène Montage à partir d'éléments modulaires |
- | C1 |
Absorption des
vibrations Résistance à de gros efforts Investissement négligeable Délai d'obtention court Ergonomie du serrage |
Etape 2 : Préparer le tableau
Le nombre de solutions et de critères étant
compatible avec la trame type, c'est cette dernière que nous
utiliserons.
Etape 3 : Pondérer les critères
Le coefficient de pondération des critères
représente le pourcentage d'apparition de ce critère sur les
montages. Sur 204 montages réalisés ces dix derniers mois :
Un simple calcul de pourcentage nous permet d'obtenir les coefficients d'importance de chaque critère. Par exemple :
k (C1) = (10/204) ´ 100 = 5%
Ce qui nous donne les coefficients suivants:
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
Total |
Mini |
|
k |
5% |
50% |
80% |
30% |
5% |
Etape 4 : Valoriser les couples
Dans un premier temps, le technicien indique les points
clefs de son raisonnement :
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
S1 |
monobloc soudé |
sur place |
|||
S2 |
fonte |
sous-traité |
|||
S3 |
cher |
nb serr. |
et en déduit une notation (ici sur 5):
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
|||
S1 |
3 |
4 |
2 |
2 |
4 |
|||
S2 |
5 |
3 |
3 |
3 |
4 |
|||
S3 |
2 |
3 |
2 |
5 |
3 |
|||
k |
0,05 |
0,50 |
0,80 |
0,30 |
0,05 |
Etape 5 : Calculer le tableau
Nous connaissons maintenant les différentes
valeurs -ici des notes sur cinq-, et les différents coefficients
-ici des pourcentages d'apparition-. Nous pouvons alors effectuer
les calculs.
- |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
C5 |
Total |
Mini |
|
S1 |
3 |
4 |
2 |
2 |
4 |
4,55 |
2 |
|
S2 |
5 |
3 |
3 |
3 |
4 |
5,25 |
3 |
|
S3 |
2 |
3 |
2 |
5 |
3 |
4,85 |
2 |
|
k |
0,05 |
0,50 |
0,80 |
0,30 |
0,05 |
Avidité |
Pessimiste |
Décomposons pour S2:
(0,05 ´ 5) + (0,50 ´ 3) + (0,80 ´
3) + (0,30 ´ 3) + (0,05 ´ 4) = 5,25
min(5, 3, 3, 3, 4) = 3
Il n'y a d'ailleurs aucune différence de calcul avec
l'exemple précédent où k était, pourtant, de nature
différente.
La colonne "total" est donc le produit du tableau des
notes par le tableau des coefficients (voir à ce sujet le
chapitre "Matrices" page 303).
Etape 6 : Interpréter les résultats
Il est intéressant de déterminer le maximum
pratique du tableau. Ceci nous aidera, avec le calcul d'erreur,
à situer les résultats.
Le
maximum pratique s'obtient en choisissant pour chaque
critère la note la plus élevée |
En appliquant cet algorithme à notre exemple, nous obtenons :
0,05 ´ 5 + 0,50 ´ 4 + 0,80 ´ 3 + 0,30 ´ 5 + 0,05 ´ 4
soit 6,35 pour le maximum pratique.
La solution S2 obtient le meilleur total avec 5,25 sur 6,35.
C'est également cette solution qui obtient la note mini-maximum.
Le calcul d'erreur nous donne une incertitude de plus ou moins un
point ( avec s n=2/4
).
L'ensemble de ces résultats étant assez groupé, le technicien
préfère soumettre son tableau de décision à un collègue
ayant une expérience en modulaire. Après analyse du document,
c'est la note de 2/5 pour le critère C3 qui l'intrigue le plus.
En effet, le modulaire est cher à l'achat, mais étant
recyclable, il peut être très compétitif. Au terme de
l'analyse des montages couramment réalisés à l'atelier, il
s'avère qu'un recyclage à plus de 90% est possible. La nouvelle
note attribuée est donc de 4/5.
On obtient alors :
- |
|
C3 |
|
- |
Total |
Mini |
||||||
S1 |
|
2 |
|
- |
4,55 |
2 |
||||||
S2 |
|
3 |
|
- |
5,25 |
3 |
||||||
S3 |
|
4 |
|
- |
6,45 |
2 |
||||||
S4 |
|
0,80 |
|
- |
Avidité |
Pessimiste |
et la meilleure solution selon le critère d'avidité devient S3, avec toutefois un point faible pour C1 : une note de 2 probable à 5%
On sent ici que la "bonne" solution n'est pas évidente. Pour réellement bien décider à court terme, il faudrait peut-être faire intervenir un nouveau critère qui tiendrait compte de la stratégie à long terme. Cette dernière peut être pour l'entreprise :
7. CONCLUSION
Tout au long de ce chapitre, nous avons vu comment
utiliser le tableau de décision. Les valeurs du tableau ont
toujours été des notes, mais il est possible d'y mettre autre
chose, des francs, par exemple. Le principal est d'avoir la même
"unité" pour toutes les valeurs.
Si, dans le premier exemple, le choix final n'a pas posé de
problème, inversement, nous avons pu constater qu'il n'était
pas très évident dans le deuxième. Pour lever les
ambiguïtés, il a suffi de vérifier la cohérence de la
décision avec les objectifs à long terme. Si l'enjeu est
important, le travail de groupe sur la table de décision
s'impose : une analyse de la valeur pour définir clairement les
objectifs et les critères peut être également nécessaire.
Plutôt que d'utiliser cet outil, il peut sembler plus simple
d'organiser une réunion autour du problème, puis de recourir au
vote. Mais attention, le vote n'est pas une solution miracle et
nous renvoyons, à ce sujet, le lecteur au paradoxe de Condorcet 1.
Cet outil s'affirme comme une aide à la décision, et bien que
la part de "feeling" du décideur ne soit pas
supprimée, elle est rendue analysable. Le développement actuel
des systèmes expert et plus particulièrement des
S.I.A.D.(système informatique d'aide à la décision) est
surtout ralenti par l'absence de ce type de méthodologie dans
les différents services. Son utilisation est donc un premier pas
vers les méthodes de travail de l'an 2000.
1 Paradoxe de Condorcet :
Soit une assemblée de 11 électeurs. Chaque électeur classe les
3 solutions possibles par ordre de préférence. On obtient :
4 fois le classement S1, S3, puis S2,
3 fois " " S2, S1, puis S3 et
4 fois " " S3, S2, puis S1.
La majorité étant de 6, il n'y a pas de
"vainqueur" à la majorité.
On a donc recours aux préférences:
S1 surclasse S3 7 fois,
S3 " " S2 8 fois et
S2 " " S1 7 fois.
Ce qui ne résout pas notre problème et est même paradoxal puisque S1 surclasse S3 qui surclasse S2 qui lui même surclasse S1 ..... ( S1 > S3 > S2 > S1 > S3 ......) !!!